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Via Roma : le regard des artistes allemands à Rome confronté à celui de François Marius Granet

Article écrit après un projet universitaire – effectué dans le cadre du projet TIGER financé par SoMuM – pour lequel a été réalisée une médiation culturelle le soir du 25 juin 2022, à l’occasion de la Nuit blanche organisée pour « Une 5e saison – Biennale d’art & de culture ».

Détail d'une peinture de Franz Ludwig Catel intitulée "Le prince héritier Louis dans la taverne à vin espagnole à Rome" de 1824

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Du 11 juin au 2 octobre 2022, le musée Granet d’Aix-en-Provence a fait le choix de mettre à l’honneur les artistes allemands partis pour Rome durant le xixe siècle, à l’occasion d’une exposition intitulée Via Roma. Organisée en partenariat avec la Neue Pinakothek de Munich et le Centre Franco-Allemand de Provence, cette exposition a permis de mettre en parallèle les œuvres des artistes allemands – peintures comme photographies – avec celles de François Marius Granet, qui se trouvait lui aussi à Rome à peu près au même moment. Le commissariat général était composé du Dr. Herbert W. Rott, conservateur en chef des peintures et sculptures de la première moitié du xixe siècle de la Neue Pinakothek, de Bruno Ély, conservateur en chef et directeur du musée Granet d’Aix-en-Provence, et de Paméla Grimaud, conservatrice du patrimoine et responsable du pôle conservation et recherche du musée Granet. L’exposition a été mise en place tandis que le musée consacrait une saison à l’Italie – Rome en particulier – avec notamment une autre exposition sur les vues d’Italie de Bernard Plossu et de François Marius Granet, Plossu-Granet : Italia discreta.

Pour Via Roma, un groupe d’étudiants de master a eu la chance de pouvoir réaliser une médiation le soir d’une Nuit blanche, organisée par le musée à l’occasion de la 5e saison – Biennale d’art & de culture. Faisant moi-même partie de cette sélection d’étudiants, j’aimerais vous partager un aperçu de l’exposition à travers une médiation écrite, déclinée à partir de trois salles de l’exposition :

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Salle 1 : introduction

La salle d’introduction est la salle où chaque spectateur comprend, grâce à quelques éléments présentés, quel type d’exposition il va visiter. Ici, la salle d’introduction de Via Roma présentait en très grand format une reproduction d’une carte de Rome. Cette ville était l’une des destinations majeures des artistes européens du xixe siècle. L’exposition met en avant ce foyer artistique à partir des œuvres des artistes allemands qui s’y sont rendus pour trouver de nouvelles inspirations et percevoir d’autres paysages. Leurs œuvres ont été mises en dialogue avec celles du peintre aixois François-Marius Granet qui avait lui-même un regard particulier, davantage axé sur la lumière, qui contraste avec les œuvres allemandes.

Peinture à l'huile de Domenico Quaglio, intitulée "Vue de la Villa Malta à Rome", de 1830

Après la carte de Rome, le spectateur peut observer une première œuvre, Vue sur la Villa Malta à Rome réalisée par Domenico Quaglio en 1830. Cette œuvre est la démonstration de la dynamique culturelle existant au xixe siècle entre les artistes allemands et Rome.

On peut voir, représenté sur le toit de la Villa Malta, Louis Ier de Bavière. Ce dernier a fondé la Neue Pinakothek, mais il est aussi à l’origine de plusieurs commandes similaires. À la Villa Malta et dans ses alentours, Louis Ier de Bavière pouvait justement loger les artistes allemands lors de leur venue à Rome. Ainsi, il a contribué à la collection des œuvres prêtées par la Neue Pinakothek pour l’exposition, mais il était aussi un commanditaire important pour la production allemande à Rome.

Louis Ier de Bavière côtoyait donc les artistes allemands et participait à l’engouement artistique de ce xixe siècle en Italie. On le retrouve d’ailleurs représenté dans la deuxième peinture exposée à côté de celle de Domenico Quaglio, celle de Franz Ludwig Catel, Le prince héritier dans la taverne à vin espagnole à Rome réalisée en 1824.

Peinture à l'huile de Franz Ludwig Catel, intitulée "Le prince héritier Louis dans la taverne à vin espagnole à Rome" de 1824

Louis Ier de Bavière y est une nouvelle fois représenté, le bras levé, faisant signe au tavernier. Il est entouré d’artistes allemands et le spectateur comprend alors que l’exposition aborde l’émulsion artistique animée par les artistes allemands à Rome, avec comme personnalité importante Louis Ier de Bavière.

À la fin de cette salle d’introduction, le spectateur découvre ensuite plusieurs œuvres de Granet. La boucle est ainsi bouclée dans cette salle d’introduction : Via Roma, un dialogue entre les œuvres allemandes et celles de l’artiste aixois ; un contraste de regard et des inspirations nouvelles.

Salle 2a : du néo-classicisme aux sources du romantisme

Nous sommes désormais dans la première salle thématique. Elle cherchait à rendre compte de l’évolution des styles allant du néo-classicisme jusqu’aux sources du romantisme.

Peinture à l'huile de Johann Christian Reinhart, intitulée "Paysage d'orage avec lac de montagne et chute d'eau", 1831

Nous pouvions voir, par exemple, une œuvre de Johann Christian Reinhart, Paysage d’orage avec lac de montagne et chute d’eau, réalisé en 1831. Cette œuvre est un paysage dans lequel s’anime, à droite de la composition, un personnage vêtu d’un simple vêtement qui imite le style antique.

Ce personnage, présent à côté de son chien sur la rive, fait de grands gestes pour essayer d’alerter l’homme assoupi dans une barque sur le lac – située au centre de la composition – qu’il s’apprête à tomber dans une chute d’eau. Cette saynète pastorale est secondaire et prend une place moindre dans le tableau, mais les personnages représentés montrent le goût qu’avaient les peintres allemands pour l’antique. Quant au paysage, la profondeur est donnée par le dégradé de couleurs : bruns, verts et bleus, technique picturale que l’on désigne comme étant une « perspective atmosphérique ». Finalement, ce paysage est idéalisé et il reflète le goût de l’époque pour la Rome antique.

Ce goût pour une Rome appartenant au passé peut être retrouvé dans l’œuvre de Franz Ludwig Catel, Vue d’Ariccia vers la mer peinte entre 1821 et 1825.

Peinture à l'huile de Franz Ludwig Catel, intitulée "Vue d'Ariccia vers la mer", v. 1821-1825

Nous retrouvons de nouveau un paysage à la perspective atmosphérique dans lequel se dessine une scène avec plusieurs personnages. Ces derniers forment un groupe, au centre de la composition, qui marche à pied ou à dos d’âne. La femme assise sur le dos d’un âne allaite son enfant. Ce groupe fait ainsi écho à une scène biblique – la fuite en Égypte – lorsque Marie et Joseph quittent Bethléem pour fuir le massacre des Innocents. Ici, nous pouvons alors observer que le peintre réinterprète cette scène avec des personnages issus du folklore italien.

Peinture à l'huile de François-Marius Granet, intitulée "Vue intérieure du Colisée à Rome", de 1804

En effet, Rome était au xixe siècle une ville empreinte de religion. Cela se perçoit dans l’œuvre de François-Marius Granet, Vue intérieure du Colisée à Rome, de 1804 dans laquelle l’artiste représente une vue du Colisée à travers une arche.

Sous cette arche, des personnages à gauche sont assis sur un banc, un autre est allongé au sol. À droite, il est possible d’observer deux personnages, l’un debout et l’autre agenouillé, contemplant un crucifix. Au loin, il est également possible de voir représentées des stations du chemin de Croix. Ainsi, les ruines du Colisée, l’arche qui encadre la composition et le ton des ombres employé font de la composition de Granet un exemple de peinture romantique représentant la Ville Éternelle, objet de fascination pour les artistes.

Salle 2b : les Nazaréens

Photographie de la salle "LLes Nazaréens" de l'exposition "Via Roma", musée Granet

En plus d’un goût pour cette Rome antique, imprégnée de traditions, un groupe d’artistes allemands va pousser plus loin le désir d’un retour à une peinture “authentique”, éloignée du style académique, aux thèmes religieux. Les artistes de ce groupe ont été surnommés « Les Nazaréens » de manière assez dérisoire. Les raisons du surnom de ces artistes sont multiples. En effet, cela est dû à la manière avec laquelle ils étaient coiffés de cheveux longs à l’instar du Christ, mais aussi parce qu’ils habitaient dans un couvent désaffecté et qu’ils s’habillaient de manière très sobre. En réalité, le noyau du mouvement nazaréen est la Confrérie de saint Luc, fondée en 1809 à Vienne. Une partie des artistes de la Confrérie est venue s’installer à Rome en 1810, en quête de pureté et de retour aux principes fondamentaux de l’art de la Renaissance. Leur source d’inspiration majeure était, entre autres, Raphaël.

Par exemple, l’œuvre de Friedrich Overbeck, Marie et Élisabeth avec Jésus et saint Jean-Baptiste de 1825, présuppose sa connaissance des tableaux de Raphaël, mais aussi des compositions de la Renaissance strictement symétriques. Les détails du tableau d’Overbeck peuvent être comparés à plusieurs œuvres de Raphaël. Ainsi, la figure agenouillée du petit Jean rappelle la posture de sainte Élisabeth dans La Sainte Famille Canigiani, tandis que le petit Jésus est inspiré du tableau de la Madonna del Cardellino, et la liaison du bras et de la main entre la Madone et l’Enfant Jésus est proche du geste dans La Belle Jardinière. On voit alors à quel point Overbeck s’est parfaitement imprégné de la pensée formelle de Raphaël.

En outre, le mysticisme des peintres dits Nazaréens se voit imprégné d’un élan national, mêlant l’héritage allemand à l’héritage italien. Cela se perçoit dans les deux fresques préparatoires réalisées par Wilhem von Kaulbach, qui étaient autrefois peintes sur les parois de la Neue Pinakothek, mais qui ont été détruites lors de la Seconde Guerre Mondiale.

Peinture à l'huile de Wilhelm von Kaulbach, "Le roi Ludwig Ier passe des commandes aux artistes allemands", de 1848

Dans Le roi Ludwig Ier passe des commandes aux artistes allemands, nous pouvons voir en arrière-plan une reproduction des monuments de la Bavière, à côté des fresques de Raphaël et de la statue de Moïse faite par Michel-Ange. Les artistes au premier plan de la composition observent ces œuvres, les reproduisent, ou encore lisent une liste de commandes passées par Louis Ier de Bavière.

Peinture à l'huile de Wilhelm von Kaulbach, intitulée "L'étude des artistes allemands à Rome", v. 1848

De même, dans L’étude des artistes allemands à Rome, nous apercevons des personnages dansant qui rappellent une scène de bacchanale. Tandis qu’à gauche du tableau, deux modèles – un homme déguisé en moine et une femme vêtue de blanc et de rouge – sont assis face à des Nazaréens qui les reproduisent.

Ce personnage féminin est un élément clé de cette salle. Celle-ci peut être mise en dialogue avec deux autres œuvres : Une mère d’Alvito et Felice Berardi, de Albano, qui étaient exposées à côté les unes des autres. En effet, ces trois femmes se ressemblent dans leur vêtement. Elles ont également des traits idéalisés et elles dégagent un sentiment de pureté. L’œuvre de Riedel est d’ailleurs semblable à la composition pyramidale de la Pièta de Michel-Ange, rappelant une nouvelle fois où les Nazaréens puisaient leur inspiration.

Depuis les paysages idéalisés à la perspective atmosphérique et aux tendances romantiques, empreints d’un goût pour l’antique, en passant par les peintures religieuses strictement inspirées de la Renaissance et des primitifs italiens, le tout exposé à côté des œuvres romantiques de Granet, les premières salles de l’exposition Via Roma sont finalement la démonstration d’un regard pluriel porté sur un paysage unique : un regard porté sur Rome.

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Liste des illustrations par ordre d’apparition dans l’article :

Salle 1 :

  1. Domenico Quaglio (1787-1837), Vue de la Villa Malta à Rome, 1830, huile sur toile, 62,2 x 82 cm, Neue Pinakothek, Munich. Licence CC BY-SA 4.0
  2. Franz Ludwig Catel (1778-1856), Le prince héritier Louis dans la taverne à vin espagnole à Rome, 1824, huile sur toile, 63,2 x 75,5 cm, Neue Pinakothek, Munich. Licence CC BY-SA 4.0

Salle 2a :

  1. Johann Christian Reinhart (1761-1847), Paysage d’orage avec lac de montagne et chute d’eau, 1831, huile sur toile, 49 x 66,8 cm, Neue Pinakothek, Munich.
  2. Franz Ludwig Catel (1778-1856), Vue d’Ariccia vers la mer, v. 1821-1825, huile sur toile, 100,2 x 138,5 cm, Neue Pinakothek, Munich.
  3. François Marius Granet (1775-1849), Vue intérieure du Colisée à Rome, 1804, huile sur toile, 125 x 160 cm, musée du Louvre, département des peintures, Paris.

Salle 2b :

  1. Friedrich Overbeck (1789-1869), Marie et Élisabeth avec Jésus et saint Jean-Baptiste, 1825, huile sur toile, 146,4 x 101,7 cm, Neue Pinakothek, Munich.
  2. Raphaël, La Sainte Famille Canigiani, 1507, huile sur panneau, 131 x 107 cm, Alte Pinakothek, Munich. Licence CC BY-SA 4.0
  3. Raphaël, Madonna del Cardellino, v. 1506, huile sur bois, 107 x 77 cm, Galerie des Offices, Florence. Source : Wikimedia Commons, Domaine public
  4. Raphaël, La Belle Jardinière, 1505-1508, huile sur panneau, 122 x 80 cm, musée du Louvre, Paris. © Musée du Louvre – SRDAI
  5. Wilhelm von Kaulbach (1804-1874), Le roi Ludwig Ier passe des commandes aux artistes allemands, 1848, 78,5 x 164,5 cm, Neue Pinakothek, Munich.
  6. Wilhelm von Kaulbach (1804-1874), L’étude des artistes allemands à Rome, v. 1848, 81,8 x 168,8 cm, Neue Pinakothek, Munich.
  7. August Riedel (1799-1883), Une mère d’Alvito, 1848, huile sur toile, 120,2 x 90,3 cm, Neue Pinakothek, Munich.
  8. August Riedel (1799-1883), Felice Berardi, de Albano, 1842, huile sur toile, 75,2 x 61,2 cm, Neue Pinakothek, Munich.

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Les photographies de cet article ont été prises par l’auteure – Adèle Kiroffo. Elles sont mises à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.



OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Adèle Kiroffo (24 novembre 2023). Via Roma : le regard des artistes allemands à Rome confronté à celui de François Marius Granet. SPLASH. Consulté le 15 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/uja9


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